Entretien avec Ugur Sahin, PDG de Biontech « La coopération est absolument essentielle »

Cette interview a été réalisée par Björn Lange, rédacteur en chef du magazine du Rotary pour l’Allemagne et l’Autriche, et elle est parue en août 2021 sur rotary.de (https://rotary.de/gesundheit/wir-haben-die-pandemie-noch-nicht-ueberstanden-a-18424.html).

Biontech s’efforce actuellement d’améliorer le vaccin contre le coronavirus.  Ugur Sahin, son PDG, nous parle du présent et de l’avenir.

Ugur Sahin, du Rotary club de Mainz 50° North, est chercheur en cancérologie, immunologiste et, en tant que fondateur et PDG de Biontech SE, l’un des principaux développeurs mondiaux de vaccins contre le Covid-19.

Il n’est pas un homme aux grands gestes et aux paroles vides ; ce qui compte pour lui, c’est la science. Il a fondé en 2008 l’entreprise Biontech à Mayence avec son épouse Türeci et Christoph Huber. Le 9 novembre 2020, la nouvelle que tout le monde attendait fait le tour du monde : un vaccin efficace contre le covid avait été mis au point. Biontech vaccine ainsi depuis décembre.

Quel est le principal défi à relever pour administrer un vaccin aux enfants et aux adolescents ?

Le vaccin est le même que pour les adultes, mais il doit être administré à des doses différentes. Les adultes reçoivent 30 microgrammes de notre vaccin ; les jeunes enfants peut-être seulement trois microgrammes et une dose pour adulte pourrait être utilisée pour vacciner dix enfants si nécessaire. La quantité de vaccin n’est pas la limite. Il faut encore un certain temps pour progresser suffisamment dans le développement clinique, la production de données, les tests et les procédures réglementaires. Nous avons déjà soumis des données pour les adolescents de douze à quinze ans, et les résultats des études sur les enfants de six à onze ans seront probablement bientôt disponibles. Mais cela ne signifie pas que nous pouvons commencer tout de suite, car les autorités doivent d’abord étudier les données et décider d’approuver ou non le produit.

Et puis il y a les personnes plus âgées qui ont été vaccinées en premier l’hiver dernier et qui ont maintenant besoin d’un rappel. Plus récemment, il a été signalé que les personnes vaccinées avec Biontech pourraient ne pas avoir besoin de rappel du tout.

Ce n’est pas tout à fait vrai. Un article dans Nature a souligné que certaines cellules immunitaires se forment et persistent toute notre vie. On en a donc déduit que la vaccination dure toute la vie. Ces cellules immunitaires font en sorte que, lors d’une nouvelle infection, l’organisme déclenche très rapidement une réponse grâce à la mémoire immunitaire. Le corps sait comment réagir parce qu’il l’a déjà fait. Nous disposons de données qui montrent que la protection vaccinale diminue avec le temps, de sorte que l’on devient plus vulnérable à une nouvelle infection. Les rappels pourraient par conséquent se justifier, mais c’est aux autorités sanitaires et aux comités de vaccination de décider sur la base des données scientifiquement recueillies. À mon avis, il serait toutefois important de vacciner d’abord tous ceux qui le souhaitent, puis de tout recommencer — ce serait une approche logique.

Avec le variant d’origine, il a été dit initialement que 70 % des personnes infectées ne présentaient aucun symptôme. Est-ce similaire avec le variant delta ?

Dans le variant original, environ deux tiers des jeunes étaient asymptomatiques, et seulement environ un tiers des personnes âgées. Je ne sais pas si cela est différent avec delta, mais ce dernier est clairement plus infectieux. Cela signifie qu’une personne infectée transmet le virus en moyenne à six ou sept personnes au lieu de trois, comme c’était le cas initialement.

Christian Drosten[i] a récemment déclaré que 100 % de la population sera inévitablement immunisée d’ici un an et demi — soit par la vaccination, soit par une infection naturelle. Partagez-vous son point de vue ?

Je partage l’essentiel de sa déclaration, car à moins de vivre dans un isolement total, la plupart des gens seront infectés à un moment ou à un autre. En un an et demi, nous pourrions atteindre une immunité de 95 à 97 %. Ce qu’il dit en réalité, c’est que vous pouvez choisir de vous faire vacciner ou que vous tomberez très probablement malade à un moment donné.

Pendant combien de temps aurons-nous besoin de vaccins contre les coronavirus ? Juste ces dix-huit mois ou beaucoup plus longtemps ?

Comme la protection vaccinale diminue avec le temps, il existe deux scénarios. Dans le premier, les États déclarent que l’incidence de l’infection est secondaire tant que le nombre de lits en soins intensifs est suffisant. Nous supposons que les vaccins protègent efficacement contre les maladies graves pendant assez longtemps. Nous ne savons pas encore combien de temps ce sera le cas ; nous recueillons des données à ce sujet. Dans le second scénario, l’objectif est de prévenir les infections et les maladies. Pour ce faire, les rappels de vaccination doivent être effectués plus régulièrement. Il pourrait s’agir d’un rappel une fois par an, par exemple, pourvu que le vaccin soit également adapté aux variants en circulation.

Vous avez déclaré dans une interview il y a environ un an : « La coopération est absolument essentielle pour relever ce défi mondial. Il n’est pas du tout question de savoir si un vaccin n’est disponible qu’en Chine, en Allemagne ou en Amérique ». Que pensez-vous de la demande de produire votre vaccin dans les pays en développement ?

La recette n’est pas le problème en soi, les ingrédients sont indiqués sur l’emballage. Au cœur de la question est la production qui est très complexe. Même dans un environnement industriel très expérimenté, ce processus prend environ un an. C’est pourquoi la première chose que nous devons faire maintenant est de mettre le vaccin à disposition à partir des modules de production qui fonctionnent actuellement au maximum de leur capacité. Et nous allons faire en sorte que cela fonctionne. Au cours des 18 prochains mois, nous expédierons un total de deux milliards de doses aux pays à revenu faible ou intermédiaire, rien qu’à partir de notre réseau de production avec Pfizer. Nous voulons également transférer notre technologie à des partenaires de confiance, mais cela prend du temps. La production doit être autorisée par les agences de réglementation. La mise sur le marché d’un vaccin nécessite une centaine de tests analytiques pour garantir sa sécurité de manière fiable. Et les normes de qualité doivent être respectées de la même manière partout dans le monde.

Combien de variants différents de Corona connaissez-vous actuellement et combien d’autres s’avèreront dangereux à l’avenir ?

Il y a d’innombrables mutants. Toute personne porteuse du virus porte des centaines de milliers de mutants dans son corps, car celui-ci mute constamment. Nous faisons la distinction entre les variants que nous pouvons plus ou moins ignorer, ceux que nous devons suivre et ceux que nous devons prendre très au sérieux. Nous disposons de programmes bio-informatiques qui nous fournissent des données et nous indiquent où apparaissent les variants. Nous avons ainsi identifié le variant delta très tôt.

Avant même l’apparition de la pandémie de coronavirus, des recherches étaient menées sur une vaccination contre le cancer à l’aide de l’ARN messager. Grâce à l’ARNm, les « plans » des protéines typiques des cellules cancéreuses doivent être introduits dans l’organisme. De cette manière, le système immunitaire devrait apprendre à reconnaître et à détruire les cellules malades à un stade précoce. Allez-vous poursuivre vos recherches dans ce domaine et comment évaluez-vous les chances de succès ?

Nous le faisons déjà, de manière très intensive. Contre le cancer, contre les maladies auto-immunes, contre d’autres maladies infectieuses. Dans le cas du cancer, cependant, il ne s’agit pas d’une percée dans le sens où l’on perce soudainement le mur et que l’on a la solution, mais plutôt de creuser pendant des années un tunnel à travers les montagnes. Nous nous en sortons bien, nous avons pu recueillir des données encourageantes ces dernières années et nous avons même commencé les études de phase 2. Notre plan est de soumettre les premiers vaccins contre le cancer pour approbation dans quelques années.

Que signifie le Rotary pour vous ?

Cela correspond à l’image que nous avons de nous-mêmes : être utile. Nous avons fondé Biontech dans le but d’améliorer la santé de nombreux patients grâce à nos innovations. Et c’est ce à quoi nous allons travailler ensemble jusqu’à ce que nous atteignions notre objectif.


[i] Christian Drosten est un virologue allemand dont les recherches portent sur les nouveaux virus. Pendant la pandémie de COVID-19, M. Drosten s’est fait connaître en tant qu’expert des implications et des actions requises pour combattre la maladie en Allemagne.

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